Pierre-Dominique Burgaud « Le Soldat Rose 2, c’est un peu un éloge de la différence »


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Rencontre avec Pierre-Dominique Burgaud, auteur du Soldat Rose. Un joli conte musical pour enfants dont le deuxième volet a été composé par Francis Cabrel, à écouter en disque et à découvrir au Trianon à Paris, en février.

Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire la suite du Soldat Rose ?

Pierre-Dominique Burgaud. Dans le Soldat Rose 1, on avait créé un ton, des personnages que j’avais envie de faire vivre. Pour le 1, on ne savait pas que cela allait être un succès car on l’avait fait de façon vraiment artisanale. On a un ton enfantin, poétique, naïf, plein de bons sentiments revendiqués et des personnages que les gens ont aimés. Je voulais une suite qui ne soit pas une resucée, un peu comme un Harry Potter 1, 2, 3, que ce soit un autre épisode aussi bien que le premier. Mon angoisse était de gâcher le truc.

Ce ne doit pas être facile de se glisser dans l’imaginaire des enfants ?

Pierre-Dominique Burgaud. Je n’essaie pas de faire ça. J’essaie juste d’écrire une histoire qui me plaît en me disant que, si c’est bien fait, les enfants entreront dedans. L’idée que le Soldat Rose change de couleur et devienne bleu est venue très vite avant même de penser au 2. Les chansons abordent des thèmes comme la notion de bonheur, de malheur, l’amour, la couleur, la différence. Dans cette histoire qui, au début, se déroule dans un grand magasin de jouets, et se poursuit aujourd’hui dans un orphelinat, le personnage se sent mal parce qu’il n’est pas vendu, et une fois qu’il est comme les autres, il se rend compte qu’il n’a plus aucun intérêt. C’est un peu un éloge de la différence en filigrane de l’intrigue, même s’il n’y a pas la volonté d’écrire une morale.

Après Louis Chedid qui 
avait écrit les musiques 
du Soldat Rose 1, vous 
avez fait appel à Francis Cabrel pour les compositions du deuxième volet. 
Pourquoi ce choix ?

Pierre-Dominique Burgaud. Je l’ai rencontré à Astaffort. J’avais écrit la suite. Je pensais qu’il dirait non. J’aime sa poésie, son côté populaire. Il jouait dans le Soldat Rose 1. Il fait partie des gens qui l’ont porté, assumé. Sa chanson le Gardien de nuit est celle qui a été la plus diffusée. Il l’a d’ailleurs mise dans sa compilation. Ça l’excitait de travailler sur le projet. Il y a de nouveaux personnages, une nouvelle histoire, on a donc renouvelé le casting des interprètes. Francis Cabrel est entouré de sa famille musicale. Il y a Thomas Dutronc et 
Nolwenn Leroy avec les chansons le Blues du rose et Bleu, et on a des interprètes peut-être moins attendus, tels Camélia Jordana, Élodie Frégé, Gad Elmaleh, Oldelaf, Helena Noguerra, des associations auxquelles on ne s’attendait pas, avec également les voix de Tété, Renan Luce, Ours, Pierre Souchon, Laurent Voulzy, Francis Cabrel. Quant à Isabelle Nanty, elle est la conteuse et elle fait le lien avec l’imaginaire enfantin. C’est la colonne vertébrale. Dans le Soldat Rose 1, Catherine Jacob était une voix plus neutre volontairement et là, pour le 2, c’est une voix avec des dialogues, pour essayer de rendre vivante l’histoire.

 Album le Soldat Rose 2 
chez BMG-Sony music.

Spectacle le 5 février au Trianon, 
80, boulevard de Rochechouart, 
Paris 18e. Tel.  : 01 44 92 78 00.

Skip The Use. Un vrai esprit rock venu du Nord


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Énergiques, créatifs et définitivement rock, les musiciens de Skip the Use s’imposent comme le groupe rock du moment. À la veille de leur concert au Zénith de Paris (19/12/2013) et en prévision de la sortie de leur prochain album, nous avons eu la chance de les rencontrer dans leur studio de répétition du côté de Lille.

Entretien réalisé par Claire Corrion, Corentin Linski, Pierre Leclaire (avec Victor Hache)

À peine arrivés devant le local de répétition de Skip the Use (STU), les notes de Nameless World, leur dernier single, nous parviennent déjà. En entrant dans ce repaire, bien caché au fond d’un parc d’une petite ville de la banlieue lilloise, nous avons découvert le groupe en plein travail. STU scande son envie de changer le monde avec fougue. À l’image des paroles « What if you could change this world today » de ce nouveau morceau pop-rock. C’est d’ailleurs dans cette salle exiguë, recouverte de posters, articles de journaux et autres stickers, que la plupart des membres du groupe se sont ren-
contrés, par le biais notamment de la formation Marcel et son orchestre. Dans une ambiance décontractée, nous avons été accueillis avec enthousiasme. On en profite pour faire quelques photos en souvenir de cette rencontre éminemment conviviale. Souriants et disponibles, les musiciens de Skip évoquent, avec humour et un vrai esprit rock, leur prochain album. Nous passons en revu les thèmes qui leur sont chers, tels que la place des groupes de rock en France ou encore leurs engagements, Mandela, la montée des extrêmes… C’est donc clope au bec et guitare en main que l’entretien commence.

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D’où vient le nom de Skip the Use ?

Mat Bastard (chant). On avait envie de faire un projet qui changeait un peu de ce que l’on faisait avant. On a fait une liste de plein de mots et il se trouve qu’il y avait Skip et Use dedans. On s’est réuni et on a lié les deux en mettant « the » au milieu, ce qui n’est pas forcément l’usage dans la langue anglaise, mais ça correspondait bien à notre concept. Pour nous, c’était important de casser les codes, tout en évoluant musicalement.

Pendant dix ans, vous avez formé Carving, un groupe qui se revendiquait du punk. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Lio Raepsaet (clavier). Ah ! Mais Carving n’est pas mort (rires) !

Mat Bastard. On aimerait bien faire un nouvel album, peut-être en 2014. Mais Carving, ça a toujours été un groupe d’amis à la base. Après, au fur et à mesure, on a essayé de faire des choses plus musicales, et c’est devenu un groupe avec une histoire, un public, etc. Et puis, quand je dis là qu’on va refaire un album, c’est aussi un moyen de se revoir, de faire de la musique ensemble, pas sortir un album commercialement parlant comme tout le monde l’entend. Pourquoi pas, par exemple, sortir quelque chose et reverser les droits à une association, plus dans le principe du groupe ?

Au sein de Skip the Use, que 
reste-t-il du côté Do it yourself, 
punk, underground ?

Mat Bastard. Ben, ce que vous venez de voir. Tout ce que l’on fait dans les Zénith ou les autres salles, tout ce que l’on joue sur scène, on le répète ici. On le fait à cinq, on enregistre, on se trompe, on corrige, on a des idées, on joue, on se dit, en fait, c’était de la m…, on revient ici, voilà quoi !

Yann Stefani (guitare). On fait toujours ce que l’on veut aussi musicalement, sans que personne nous dise : fais ceci, cela. On a cette liberté-là. On travaille pourtant avec des grosses maisons de disques.

Justement, le fait d’avoir signé 
chez Universal via Polydor, 
ça change quelque chose ?

Yann Stefani. Ça nous a permis d’aller dans de meilleurs studios (rires) !

Mat Bastard. On n’a pas signé avec une maison de disques, on a signé avec une équipe. Cette équipe-là, on en est très fier parce qu’ils nous soutiennent dans nos choix artistiques ; jusqu’ici, on a toujours été soutenu. Quand t’es dans un système, le meilleur moyen pour le changer, c’est d’être à l’intérieur. Tu peux rester chez toi en marge et faire « je suis pas content », tout le monde s’en fout. On est libre et on est super-heureux, à l’instar de groupes comme Shaka Ponk ou comme 
Orelsan qui sortent des disques qui ne sont pas toujours politiquement corrects, mais qui, par contre, sont représentatifs de ce que les gens veulent écouter. Après, tout n’est pas tout le temps super-rose, c’est comme tout, c’est une relation de couple. On est fier des disques que l’on sort, on n’a pas de censure, ni de veto.

Vous êtes originaires du 
Nord-Pas-de-Calais. Cela a-t-il 
été évident de percer ?

Mat Bastard. Il y a beaucoup de gens de Londres, de Berlin, qui disent c’est cool d’être à Lille. Et puis, la Belgique est juste à côté, où il y avait déjà un savoir-faire avec le rock, toutes les musiques un peu alternatives, le hardcore, le métal ou encore l’électro ; il y avait déjà une structure qui leur permettait de faire des grosses affiches américaines alors que tu les aurais jamais vues à 20 bornes de là, à Lille. Mais on a eu le même développement que dans n’importe quelle région. Finalement, tu vois, c’est juste qu’ici, on a la chance d’avoir une politique ouverte, comme à Ronchin où la mairie fait beaucoup en faveur de la culture.

Est-il facile d’exister en tant que groupe de rock en France ?

Jay Gimenez (basse). Quand on écoute les radios, pour avoir du rock, c’est très compliqué. Et pourtant, nous, on vend des albums, Shaka Ponk également. On oublie souvent qu’il y a un public qui achète des disques rock 
en France. Mais les radios s’ouvrent un peu plus. Elles sont en train de comprendre qu’il y a un vrai public pour le rock et qu’on ne peut pas laisser de côté des milliers de personnes qui s’y intéressent.

En même temps, il y a de moins en moins d’émissions musicales dans les radios, télés…

Jay Gimenez. Il y a tellement de groupes qui ne passent jamais dans les médias et qui pourtant remplissent des Zénith.

Yann Stefani. Mais, tu sais, des émissions de musique, y en a quand même. Quand tu regardes la Nouvelle Star ou toutes ces conneries, c’est des émissions de musique, les gens sont interactifs, ils dépensent de la tune avec leur téléphone pour voter pour leur petit chouchou. Ça aussi, ça nique un peu le truc.

Mat Bastard. En ce moment, je suis un fervent défenseur d’une émission qui, avec le Grand journal, est un des seuls plateaux de musique live, l’Album de la semaine, de Stéphane Saunier (chaque samedi, à 11 h 45, sur Canal Plus). C’est quelqu’un qui se bat pour que la musique soit live et tous styles. C’est vraiment un concert filmé. La playlist est très ouverte, ça va de Jennifer à Queen of the Stone Age, en passant par Fighters, Shaka Ponk ou Orelsan.

Mais avant le succès, vous avez galéré ?

Mat Bastard. Actuellement, je travaille avec une gagnante de la Nouvelle Star, elle a dix-sept ans, elle ne connaîtra certainement jamais la galère que l’on peut connaître avant de percer. Avec Carving, on n’a jamais réussi à gagner notre vie. Aujourd’hui, l’argent c’est devenu quelque chose d’extrêmement important. Des jeunes viennent nous voir et nous disent : « J’aimerais bien jouer avec vous mais combien vous me donnez ? »

Lio Raepsaet. Moi, on me dit mieux, du style : «Comment je fais pour faire des cachets si je joue dans un bar ?»

Jay Gimenez. Quand on est arrivé, en 2008, les gens se demandaient ce qu’était ce nouveau groupe, qui dépote sur scène et dont le chanteur est complètement fou. Mais ils ne se rendaient pas compte que l’on s’était gaufrés mille soirées dans des cafés-concerts. C’est dur de jouer juste pour 20 personnes qui ne sont pas forcément venues pour t’écouter et qui n’en ont rien à faire de ta musique. Si tu n’as pas cette expérience-là au départ, tu arrives comme un puceau sur scène. Bourlinguer dans des mauvaises conditions, ça nous a appris beaucoup de choses.

Pourquoi avez-vous choisi de chanter en anglais ?

Mat Bastard. Ça vient du fait qu’on écoutait beaucoup de musique en anglais. C’est aussi une question de savoir-faire. Ce n’est pas évident d’écrire en français. On avait testé avec Carving, mais ça sentait un peu le test. Là, dans le nouvel album de Skip, on a mis une chanson en français parce qu’on aimait bien le texte et qu’on s’est dit, ça c’est cool. Et puis, l’anglais nous permet de jouer partout dans le monde.

Ça a changé quelque chose pour vous d’avoir la victoire du meilleur album rock, cette année ?

Yann Stefani. Ta mère est vachement contente (rires) ! Elle se dit que tu as bien fait d’être musicien.

Jay Gimenez. La boulangère du coin, elle te dit : «Clip the Us, ah, ché bien, cha !»

Yann Stefani. C’est un peu une fierté, surtout pour les parents. Quand tu fais de la musique, ils ont un peu peur pour toi, ils se demandent si tu vas réussir à vivre de ta musique.

Lio Raepsaet. Et par rapport aux professionnels aussi. Pour certains qui ne connaissaient pas encore le projet, ils te prennent plus au sérieux. Mais, avant ou après les victoires, on est resté les mêmes.

Vous êtes très actifs au niveau des réseaux sociaux. Vous avez d’ailleurs publié un message en hommage 
à Nelson Mandela…

Mat Bastard. Oui, parce que son état d’esprit, sa philosophie nous touchent, et j’espère que cela touche le plus grand nombre. Les écrits (de Mandela) et son action sont toujours d’actualité. En ce moment, c’est de pire en pire, il y a vraiment un regain de la haine de l’autre. Surtout sur les réseaux sociaux, il y a une grande hypocrisie. On se cache derrière une banane et on peut 
insulter tout le monde. Ça nous tient à cœur, on est vraiment militants du vivre ensemble. On le répète à tous nos concerts.

Quels sont les thèmes que vous abordez dans vos chansons ?

Mat Bastard. On aborde un peu tout. On est un groupe populaire au sens premier du terme, on essaie de faire des chansons qui résonnent pour nous. Ça va des fans à la peur de l’autre, des chansons sur la résignation, l’amour, la séparation, la religion, l’écologie, la politique. Pour revenir à l’intolérance, il suffit de voir les réactions haineuses sur Facebook juste après l’élection de Miss France, cela en raison de la couleur de sa peau. C’est incroyable ! Je comprends que des personnalités comme Harry Roselmack écrivent des tribunes et sortent de leur réserve. Il est passé au Grand Journal pour parler de sa tribune sur la France raciste, soulignant que ce « n’est pas le journaliste qui parle, c’est le Noir, le fils et le père ». Moi, je m’en suis pris dans la gueule parce que j’étais noir. Je pense à mes enfants et j’ai peur pour eux…

Max Catteloin (batterie). Les gens sont décomplexés, et c’est dramatique. Nous sommes de fervents militants du brassage culturel. On est dans une agglomération où il y a un 
super-brassage culturel, avec plus de 50 communautés qui se mélangent, vivent ensemble. C’est le vivre 
ensemble qu’il faut valoriser et arrêter de toujours parler de racisme. Je pense que plus on en parle, plus on arrose la plante qui pousse. C’est assez flippant, la montée du FN qu’il y a dans le pays et ce côté décomplexé de parler librement de racisme. Tout ça est choquant.

Votre prochain album sort le 10 février. Quelle sera sa couleur musicale ?

Mat Bastard. C’est un album de rock avec tous les préfixes possibles et inimaginables devant : pop, hard, punk, post…

Yann Stefani. On est vraiment fier de cet album. On a vraiment hâte de jouer les nouveaux morceaux sur scène, ça va nous faire du bien. Le single est déjà sorti mais notre album, ce n’est pas qu’un morceau, c’est un tout. Musicalement, c’est vraiment varié, pas formaté. Il faut l’écouter du premier morceau jusqu’au dernier ! (rires).

Mat Bastard. En tout cas, c’est un vrai album de STU (Skip the Use). On a choisi un concept qui est celui de ne pas en avoir. Donc, forcément, c’est un peu compliqué de savoir à quoi cela ressemble à partir d’un seul titre. Je suis sûr qu’il y a beaucoup de gens qui écoutent le single Nameless World à la radio en se demandant de quel groupe il s’agit. Entre Ghost, Cup of Coffee de notre précédent disque, Can Be Late, et ce nouveau morceau, il y a un monde. C’est ça, Skip the Use. Et le prochain titre sera totalement différent. Si les gens pensent entendre la même chose du début à la fin de nos concerts, il vaut mieux ne pas venir nous voir.

SKIP THE USE on the road. 

Le troisième album de Skip the Use (STU) sortira le 10 février 2014 chez Polydor/Universal. Leur dernier single, Nameless World, est en libre écoute sur la Toile. Le clip est paru cette semaine, sous la direction du dessinateur de Zombillénium, Arthur de Pins. Le groupe sera au Zénith de Paris jeudi 19 décembre. Un concert très attendu où il partagera l’affiche avec Shaka Ponk, Placebo et Yodelice. En avril 2014, STU sera en tournée en France avec des dates à Paris, Lyon, Toulouse, Lille ou encore au Printemps de Bourges. Les membres du groupe souhaiteraient revenir très prochainement avec Carving pour un projet encore tenu secret… On parle d’un album qui serait disponible sur le Net. À suivre.

Entretien réalisé par Claire Corrion, Corentin Linski, Pierre Leclaire (avec Victor Hache) paru dans l’Humanité du 16 décembre 2013 dans le cadre de l’opération Libres échanges en collaboration avec les jeunes correspondants du journal.

Vincent Delerm, chroniqueur de nos vies sentimentales


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Cinq ans après Quinze Chansons, le chanteur revient avec les Amants parallèles. Un album au parfum de cinéma où il s’interroge sur la vie de couple.

Vincent Delerm n’est pas ce qu’on appelle un chanteur à voix. Adepte d’un chanté-parlé narratif, il aime se situer à la frontière de la musique, de la littérature et du cinéma. Son nouvel album, les Amants parallèles, a des allures de chronique du temps présent où Delerm pose un regard attendri et sans illusion sur le couple. Ce pourrait être la BO d’un film mettant en lumière la rencontre d’un garçon et d’une fille, dont on suit les étapes sentimentales, façon pour le chanteur de poser la question de la vie à deux : « Dans ce disque-là, il y a un minimum d’attention à apporter à la première écoute pour suivre l’histoire. Un effort presque littéraire à faire de la part des gens, confie Vincent Delerm. Les Amants parallèles, c’est cette étrangeté du principe du couple, des personnes qui se mettent ensemble, commencent à se connaître et qui, en même temps, restent étrangères. C’est une façon de s’aimer aujourd’hui, sans l’illusion, le fantasme de ne former qu’un. »

Un registre tout en retenue et mélancolie

Dans Memory, aux Bouffes du Nord, il avait voulu un spectacle musical et théâtral. Il y jouait le rôle de Simon, personnage lunaire qui rêvait d’arrêter le temps qui nous échappe. Un spectacle monté comme une pièce de théâtre où les claviers étaient déjà présents. Cette fois, Delerm va plus loin avec un album sans guitare, basse, batterie, dont les ambiances sonores reposent sur l’utilisation de deux pianos, dont un spécialement « préparé » qui a permis toutes sortes de subtils bruitages : « C’était important de décaler les choses, souligne-il. Le fond de ce que l’on a à dire est toujours un peu le même. Il faut évoluer dans les formats et dans la manière de raconter. » Un écrin pianistique qui ajoute aux sonorités acoustiques d’un registre tout en retenue et mélancolie : « J’ai une pulsation naturelle assez lente, reconnaît-il. Je pourrais la faire grimper de quinze points dans le tempo mais, du coup, j’y perdrais dans ce que j’ai à dire. » Résultat, un disque « qui groove dans la lenteur » : « C’est ça aussi qui ajoute à l’impression de musique de film. Il fallait qu’elle avance tout le temps avec cette idée du trajet, que la musique joue le rôle de train. »

Vincent Delerm aime les demi-silences, les chansons où les sentiments se révèlent en creux. Une manière pudique et sensible d’explorer les territoires de l’intime qui fait de lui un chanteur à part depuis ses débuts en 2002.

Cinq ans après Quinze Chansons, il s’apprête à repartir en tournée. Un retour très attendu où il sera seul en scène : « Sur Memory, mon personnage m’empêchait de m’adresser aux gens. Là, j’aimerais quelque chose d’épuré, que les chansons soient plus au centre. J’ai fait pas mal de piano-voix dans mes deux premiers albums, ensuite j’ai joué avec des musiciens. Cela faisait longtemps que je n’avais pas été seul. L’idée est de revenir aux choses simples. »

Album les Amants parallèles, chez Tôt ou tard. Concerts du 4 au 29 mars, Théâtre Dejazet, Paris 3e.
 Tél. : 01 48 87 52 55.

Bernard Lavilliers : « Je sens qu’il y a un repli terrible »


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Le chanteur revient d’Haïti, encore marquée par le séisme de 2010, où il a écrit 
les chansons 
de Baron Samedi. 
Magnifique 
album qui célèbre 
la poésie avec Nazim Hikmet ou Blaise Cendrars.

Qui est ce mystérieux personnage 
de la culture 
vaudou haïtienne, Baron Samedi ?

Bernard Lavilliers. C’est un symbole, le chef du cimetière, un peu le bras droit du diable. On ne peut pas dire qu’il soit rassurant. Je voyais l’état dans lequel était Port-au-Prince. Cette chanson parle de mes amis haïtiens, des artistes, comment ils ont survécu après le tremblement de terre : trois cent mille morts, ce n’est pas rien ! Après ce qui vient de se passer aux Philippines, j’ai l’impression que les Barons Samedi des plaques tectoniques sont en train de remettre l’homme à sa dimension. Tout s’est écroulé en quelques secondes, accompagné d’un hurlement, comme une sorte d’énorme animal qui a bougé du centre de la Terre, et d’une poussière gigantesque qui n’est pas retombée trois ans après.

Vous êtes un peu comme 
un reporter. Quel sens 
donnez-vous à la chanson Vivre encore ?

Bernard Lavilliers. Je décris la vie telle que je la revois puisque je connais bien Haïti. Dans cette chanson, je parle de l’essentiel : « Ce qu’il faut de sang pour donner la vie. » On est plus près parfois, dans ce genre de circonstances, des amis ou qui ont tout perdu ou qui ont survécu, que dans cet ennui mortel des râleurs infinis que sont les Occidentaux. Quelqu’un qui est chauffeur de taxi décide de reprendre sa vie de zéro et de continuer à vivre, c’est ce que je chante finalement. C’est une chanson d’espoir. Il faut vivre quoi qu’il arrive, ne pas baisser les bras ou se laisser gagner par la dépression et le fatalisme. Les Haïtiens ont une force incroyable. Ce n’est pas surprenant qu’ils aient été les premiers à instaurer une république noire après avoir viré les Français.

Parlez-nous de Tête chargée, dans laquelle vous posez 
cette question : « Que peut l’art contre la misère noire ? »

Bernard Lavilliers. Là, je suis avec un peintre musicien en train de faire un tableau abstrait dans son atelier à Port-au-Prince, sur une colline. Lui a eu la chance que sa maison ne tombe pas. Je lui demande si sa peinture, sa musique ont changé après ce truc énorme, ce dinosaure qui s’est réveillé ? Il m’explique que ça a pris pas mal de mois avant qu’il se remette à travailler. Tous les artistes que j’ai rencontrés m’ont dit la même chose : ils n’ont rien pu faire tout de suite. L’art est un espace de liberté, en perpétuelle lutte avec le pouvoir central. « Que peut l’art contre la misère noire ? » dans ce cas-là, à Haïti, eh bien les artistes exposent leurs peintures, leurs sculptures dans 
la rue, vendent, et il y a tout un tas de gens qui travaillent avec eux.

Ici, comment ressentez-vous le climat ambiant actuel ?

Bernard Lavilliers. Je sens qu’il y a un repli terrible. Forcément, il faut trouver un bouc émissaire. Donc allons vers le plus simple. Je chante par exemple Scorpion, poème de Nazim Hikmet qu’il avait intitulé la Plus Drôle des créatures. Il a fait quinze ans de prison en Turquie parce qu’il était communiste. J’imagine que c’est un texte de résistance dans lequel il peut dire à son meilleur ami : « Tu es comme le scorpion mon frère, pendant que j’étais en train de me bagarrer contre les nazis, tu es comme le moineau mon frère dans tes menues inquiétudes. » Il y a quelque chose de politique et de violent dans ce texte que j’aime. C’est le moment de le chanter. Le fait de ne pas bouger une oreille est pire que l’assassinat parfois. Je me dis que n’importe qui peut assez facilement prendre une attitude de meute. Et qu’on pourrait le voir dans pas longtemps. Cela reflète une certaine paresse intellectuelle de la part de nos concitoyens. Je ne parle pas de ceux qui ont une conscience politique, mais de ceux qui flottent un peu, la masse, comme dirait Jean Baudrillard, « à l’ombre des majorités silencieuses ». L’histoire de Christiane Taubira, ça va tellement loin. Il y a encore dix ans, on n’aurait pas pu dire un truc pareil.

Vous interpretez le poème 
de Blaise Cendras, Prose 
du Transsibérien et de la petite Jehanne de France. Un texte 
de vingt-sept minutes, 
c’est osé de votre part !

Bernard Lavilliers. C’est génial parce que mon public va peut-être découvrir Blaise Cendrars avec cette musique. Elle ne prend jamais la main sur le texte. Je le dis comme un conteur. On est dans le train. Ce texte qu’il dédie aux musiciens, je l’ai depuis longtemps dans ma besace. Je l’ai emmené partout, au Brésil, en Asie du Sud-Est. Je rêvais de le mettre en musique. C’est un cadeau que j’ai voulu faire, en tant que passeur.

Album Baron Samedi, chez Barclay. Tournée du 6 février au 20 juin, 
dont concerts à l’Olympia 
du 25 au 30 mars et du 1er au 6 avril.

Entre vaudou et poésie. 

Baron Samedi fait suite 
au voyage à Haïti de Bernard Lavilliers après le tremblement de terre en 2010. Il promène sa plume dans Port-au-Prince ravagé sous le regard de cette figure de la culture vaudou, à la frontière des vivants et des morts. Un double album dans lequel il célèbre la poésie avec Scorpion, hommage au poète turc Nazim Hikmet. Lavilliers 
nous emmène aussi du côté des banquiers de la City à Londres avec une « valse bancale » évoquant Jack l’Éventreur ; 
à Hyères avec Villa Noailles ; 
à La Réunion avec la dansante et mélancolique Rest’la Maloya. Il met aussi en musique 
le poème de Blaise Cendrars, Prose du Transsibérien et de 
la petite Jehanne de France. Un texte fondateur qui reflète bien son goût pour l’aventure et les mots voyageurs. Magnifique !

Entretien réalisé par Victor Hache

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